Tout doucement, l'idée...
Il n'y a plus que le soir, fatigué ou à côté de la pluie. Mais les lignes sont aspirées, les bulles sont incisées et pénétrées. En secret...
Depuis Paris, Henri Calet prenait le train, plus fort prenait le bus ou bien encore le car pour rejoindre la banlieue et écrivait avec ses deux mains tout ce qu'il le touchait (la dame sur la banquette d'à côté, les courses de stop-cars...) ne voyait pas tout mais le notait presque, l'effleurait en le citant allant jusqu'à l'essorer en le sifflant, parce que tout arrivait selon les plans, des plans déroulés devant lui, envolés depuis, le vent luit. Chaque page est celle d'un cahier. Il n'y a pas de livre. Tout au plus une spirale fatiguée, des feuillets passés, repassés, tournés, retournés, qui fera dire à Calet quelques heures avant de mourir à 52 ans, le juillet 1956, "... Je suis déjà un peu parti, absent... Faites comme si je n'étais pas là... Ma voix ne port plus très loin... Il faut se quitter déjà ? Ne me secouez pas je suis plein de larmes." Voilà le cœur lâche et repart ou non. Point de suspension.
Des vieilles personnes faisant le mur, trois enfants, chevaliers sous la table ronde du salon, cueillant ces mûrs. Comme à chaque fois les Bonaventure partent de cette table pour un secret qu'il vont construire et nourrir. Le passé est ressorti de la malle, tombe parfaitement sur les épaules. Personne ne s'étonne des morts sur le quai, pourtant encore debout, mais ailleurs. Celui qui cherche à tout comprendre, n'a pas encore fermer les livres de ce trio. Même s'il le ferme, le courant d'air n'est pas loin.
De Kennedy Toole, j'ai d'abord lu La Bible de Néon. Je suis tombé dedans, me suis cassé les yeux et les jambes. J'ignorais alors ce que j'avais entre les mains : un livre de suicidé, un livre de tiroir, où le testament demeure le dernier fil, l'amour d'une mère qui se charge de poursuivre l'œuvre en ouvrant les portes pleines des éditeurs récalcitrants. La Conjuration Des Imbéciles était aussi dans le meuble. Magnifique posthume deux pièces, ces joyaux de la littérature américaine n'auront eu d'écho qu'entre 10 ans (La conjuration) et 20 ans (la Bible de Néon) après l'asphyxie de leur auteur, à force d'y croire. Que peut-la vie, parfois ?
Une petite déculottée littéraire par un italien de souche, mais américain après l'installation de ses parents. Fante n'accompagne pas, il embarque avec ou sans papier, il n'y a pas de frontières, aucun contrôle. c'est Bandini, son avatar qui pérégrine, qui , le plus souvent, nous montre et fait voir les couleurs de sa vie faite d'alcool, de filles et de vieilles américaines, des trottoirs obstrués de poubelles, la côte ouest, le soleil-assommoir, les petites frappes et les grosses. L'écriture sans écritoire, foutraque, comme un inventaire soufflé entre le paradis et l'enfer. Lequel est lequel ? La course, la déprime, les bons mots, les gros, la musique, la peau, les Doors, Camus. Souvent un petit pas grand chose, c'est-à-dire un détail, et tout autour, avec chaque ligne qui relance l'hélice. Une petite fourmi s'agite. Vue d'un lépidoptère.
J'ai rencontré Monsieur Kauffman. Deux fois, par surprise. La première, sur une île en 1991, alors que je faisais, avec d'autres, une permanence à l'occasion d'une exposition ; la deuxième, dans le métro, il y a quelques années, en sortant de République.
Cette plume de journaliste parle aux arbres comme personne, rentre dans les maisons pour aller toucher les murs, s'en va sentir dans la cheminée en se penchant jusque dans le conduit. J'ai sorti de la bibliothèque, La Maison du retour comme j'aurais pu prendre La Chambre noire de Longwood. De l'exposition, en 1991, il n' avait fait alors qu'un vague demi-tour, pour aller jusqu'à une fenêtre, en attendant sa moitié.
Voilà, il se peut que l'encre de Kauffman se situe entre le vin, les odeurs de cendres, les petits et grands espaces, la solitude faite de rencontres, la foule décalée, la peinture fraîche, les livres dont on ne se départit pas, les pins des landes, tous les arbres, et puis plus de forêt, le vent, les souvenirs de silence dans l'attente précieuse, celle du geôlier qui, un jour, a ouvert. La lumière sur la peinture fraîche agrandit cette curieuse bâtisse du sud-ouest dont il est question. C'est peut-être cela l'idée, l'agrandissement : trop ample pour cette vie ; chercher à rétrécir le champ de vie et d'action, camper sous une tente, surveiller de loin, opérer des approches, se faire violence, parler, analyser, sans cesse. Je me souviens de cette ombre tournant dans le métro avec un papier dans les mains. Une note, un plan, un article...?... Assurément, quelque chose qui se plie, tenant dans une poche, quelque chose qui se loge et qui, une fois sorti, retrouve sens. Avec le temps et son empreinte.
Cette plume de journaliste parle aux arbres comme personne, rentre dans les maisons pour aller toucher les murs, s'en va sentir dans la cheminée en se penchant jusque dans le conduit. J'ai sorti de la bibliothèque, La Maison du retour comme j'aurais pu prendre La Chambre noire de Longwood. De l'exposition, en 1991, il n' avait fait alors qu'un vague demi-tour, pour aller jusqu'à une fenêtre, en attendant sa moitié.
Voilà, il se peut que l'encre de Kauffman se situe entre le vin, les odeurs de cendres, les petits et grands espaces, la solitude faite de rencontres, la foule décalée, la peinture fraîche, les livres dont on ne se départit pas, les pins des landes, tous les arbres, et puis plus de forêt, le vent, les souvenirs de silence dans l'attente précieuse, celle du geôlier qui, un jour, a ouvert. La lumière sur la peinture fraîche agrandit cette curieuse bâtisse du sud-ouest dont il est question. C'est peut-être cela l'idée, l'agrandissement : trop ample pour cette vie ; chercher à rétrécir le champ de vie et d'action, camper sous une tente, surveiller de loin, opérer des approches, se faire violence, parler, analyser, sans cesse. Je me souviens de cette ombre tournant dans le métro avec un papier dans les mains. Une note, un plan, un article...?... Assurément, quelque chose qui se plie, tenant dans une poche, quelque chose qui se loge et qui, une fois sorti, retrouve sens. Avec le temps et son empreinte.
N'est pas Tintin qui veut. La voix de Denis Podalydès fouille, enquête les sons avec ses frères depuis l'enfance. Son monde est de mèche. Il n'y a que Podalydès qui pouvait le savoir : sa propriété intérieure. L'exercice de style consistait à fermer les yeux et à les ouvrir de l'autre côté, puis coucher des lignes et toucher l'intime conviction : celle d'affirmer qu'on est là, tous, et que les uns vont se taire, d'autres tousser, que certains ont poussé une porte, tourné au coin de la rue, sans reparaitre, d'autres s'en tirer. Podalydès interroge la distance a priori et a posteriori. Qu'est-ce que l'on retient d'une rencontre, parfois celle de toute une vie, avant la lame ? Où se place-t-on ?
La voix du frère, la veille, était encore présente au combiné, mais sur le fil, demeurant ici la dernière preuve avant la chute du corps. Après, aussi. Riche idée que d'y avoir ajouté un CD audio. Comment en aurait-il pû en être autrement ?
La voix du frère, la veille, était encore présente au combiné, mais sur le fil, demeurant ici la dernière preuve avant la chute du corps. Après, aussi. Riche idée que d'y avoir ajouté un CD audio. Comment en aurait-il pû en être autrement ?
Dans une heure, un autre jour, dans une vie, une autre mort. Après Le Portrait, les contes et quelques aphorismes en tête, nous avons convergé vers le Père Lachaise. Quelle division, quelle allée ? Les lèvres colorées sur la pierre du sphinx émasculé de Jacob Epstein et les fleurs au pied. Mésestimés, surestimés, les paradoxes stylés se battent en duels comme tout élégant de boxe. Et nous où étions-nous ? Etions-nous seulement ?
Lapinot, les carottes, les patates à l'agonie et nous
1992 : Un Lapinot en majuscule débutant très vite avec 500 pages d'aventures taciturnes, comme un marrant à l'encre noir. Coup d'essai à l'Association pour enfoncer des terriers clos en attendant de revoir le jour pour des histoires nettement plus courtes et digestes sous des couvertures glacées. C'est les yeux rouges que l'on apprend, un jour, que le héros après un dernier rappel (dans La vie comme elle vient) ne reviendrait plus. Trondheim, son maître, avait tourné la page (clap-ier de fin). Pas nous.
Le retour comme une descente en soi, le retard comme une découpe supplémentaire dans le temps, une pièce à vivre, la réapparition de l'absent ; après des trains de silence, on décide de prendre l'avion dans un écrasement du temps et des cartes. On touche les rues sauvées du grand incendie, celui de l'enfance, la lumière dont on se souvient. On passe la porte, la famille est là. Nous n'avions pas prévenu : plus de quinze ans d'absence, la famille nous fait asseoir, le dîner allait être servi. La mère s'approche, le père regarde.
Un corps redonne de ses nouvelles, agit sur le temps comme personne, puis se retourne, une somme de pages plus tard, invisible.
Qui sommes-nous, pour finir, sinon des jours dont d'autres pourraient être amenés à se souvenir ?
Un corps redonne de ses nouvelles, agit sur le temps comme personne, puis se retourne, une somme de pages plus tard, invisible.
Qui sommes-nous, pour finir, sinon des jours dont d'autres pourraient être amenés à se souvenir ?
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Quel livre est lent à démarrer sinon souvent le lecteur lui-même ? Et voilà, deux mois pour lire l’histoire de ce muséographe recruté à coup de bourse par une grincheuse en bout de course ; une histoire pas banale d’un homme pointilleux de formation, bousculé par une mission pour le moins délicate : visiter les morts et prélever à chaque décès un objet censé incarner le malheureux et devenir ainsi une pièce constitutive d’un musée en devenir : Le Musée du silence. C’est de ce silence que s’est empli ma lecture, saccadée, retenue, répétée (pendant ce temps d’autres livres me sont passés entre les mains), entêtée. La répétition de ce silence (finalement lui-même incarné) fait que le lecteur finit par rentrer lui-même en un silence jubilatoire et que le roman se laisse re-découvrir jusqu’à la fin.
Rien qu'un pépin
C'est moins La malédiction du parapluie que Les Petits Riens de Lewis Trondheim qui suivent ces premiers mots : une succession de préoccupations inutiles et congestionnées dans un cerveau qui ne vaut pas moins bien qu'un autre, dans un corps inquiet des petites misères égoïstes qui sabrent le sommeil, qui nous font marcher somnambules, qui empoisonnent les minutes qui nous rapprochent du rien, du presque rien. Indispensable.
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